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Traduit du russe vers le français par Carole Mettler Kremer
Personnages :
Hans
Joseph
Traduit du russe vers le français par Carole Mettler Kremer
Maison de retraite. Une chambre pour deux. La nuit Obscurité.
Hans et Joseph.
Hans allume la lumière.
Joseph ne dort pas, il est assis sur une chaise.
Hans Hou, il fait jour ! Quelle affaire. Ça arrive, des fois, c’est la nuit et tout à coup, bim ! c’est le jour. Pam-pa-lam, pam-pa-lam. Intéressant. Bim (il éteint la lumière) et c’est de nouveau la nuit. Bim (il rallume) c’est jour. Très intéressant. Bim, le printemps, bim, l’été… Pam-pa-lam… Bim, un homme est né, bim, il est mort. Bim, il s’est marié, bim, il disparaît. Pam-pa-lam… Et il arrive, parfois, que ça se passe différemment ? Non, impossible. Jamais que comme ça. Hé, Joseph, tu dors ? Tu m’entends ? Il est temps de s’y mettre ! T’entends ? On joue ou pas ? Assez dormi !
Joseph Je ne dors pas.
Hans Je dis que le temps passe et qu’on n’a toujours pas commencé. J’ai faim. J’aimerais bien de la glace maintenant. Et bim, une glace. Alors, ça te plairait ?
Joseph J’aime ça, la glace.
Hans Surtout à la fraise.
Joseph A la fraise, c’est de la gnognotte, mais au chocolat, ça c’est du lourd.
Hans Ça se saurait. Au chocolat ?
Joseph Ouais, et avec des noisettes en plus.
Hans Moi, j’aime pas le chocolat.
Joseph T’aimes pas ? Et le caramel ?
Hans J’adore. Et plus encore les bonbons au caramel, je peux en sucer toute la journée.Seulement voilà, maman ne me laisse pas faire. Et toi ?
Joseph Moi non plus.
Hans Toi non plus ?
Joseph Non, parce qu’elle n’a rien à me donner.
Hans Rien ?
Joseph Rien du tout !
Ils rient
Hans Moi, j’ai de quoi.
Joseph Au moins, moi j’ai du chocolat.
Hans Tu as du chocolat ? D’où tu tiens ce chocolat ? T’as même pas de bonbon !
Ils rient
Hans Ah, toi alors, tête de pioche, j’avais complètement oublié ! J’ai préparé un de ces trucs ! Regarde. (Il sort du tiroir de sa table de nuit deux masques).
Joseph Qu’est-ce que c’est ?
Hans Des masques. Regarde, mais regarde donc ! Tu ne reconnais pas ?
Joseph Quand est-ce que tu as eu le temps ?
Hans J’ai bossé toute la journée, pendant que t’étais là à te prélasser. Comment tu trouves ? Ça c’est toi, ça c’est moi. Ce sera plus intéressant en portant des masques. T’es d’accord ? Comme au théâtre. Tu aimes le théâtre ? Tiens, prends.
Il tend à Joseph le masque représentant son propre visage.
Joseph C’est toi ?
Hans C’est pas ressemblant ? Et ça, c’est toi.
Joseph Moi, moi ?! Ouais, t’es un artiste !
Hans C’est ressemblant, hein, tout craché !
Ils rient
Hans Doucement, doucement, on va nous entendre et on va se faire houspiller.
Joseph Pour quoi ?
Hans Parce qu’on fait du bruit, qu’ils vont dire.
Joseph Et nous, on dira quoi ?
Hans On dira… que ce n’est pas nous.
Joseph Pas nous ? Mais qui alors ?
Hans Je n’sais pas. Les souris, oui, les souris !
Joseph Les souris !...
Ils rient.
Hans (se couvrant le visage avec le masque de Joseph). Et tu as peur des souris ?
Joseph (se couvrant le visage avec le masque de Hans). Non, du tout. Je n’ai peur de rien.
Hans Moi, j’ai un p’tit peu peur. Piit-piit, piit-piit, piit-piit. Ma sœur aussi elle a peur.
Joseph Tu as une sœur ?
Hans Oui, bien sûr. Oui !
Joseph Mais elle est où ?
Hans Comment ça, où ? Je n’sais pas. Elle doit dormir, c’est déjà la nuit. Sûr qu’elle dort. Elle est encore petite, alors maman l’a couchée depuis longtemps.
Joseph Moi, j’ai pas de sœur.
Hans Du coup, t’as un frère.
Joseph Pas de frère non plus.
Hans Ben moi, j’ai une sœur.
Joseph « Une sœur ». Et moi, je n’ai personne. Je suis seul.
Hans Eh bien, réjouis-toi, t’auras tout rien que pour toi, pas besoin de partager les jouets, les
friandises… Et sur les manèges, on n’emmènera rien que toi.
Joseph Rien que moi.
Hans Rien que toi.
Joseph Mais toi, tu as une sœur… Une seule ?
Hans Peut-être, oui, on peut dire ça comme ça.
Joseph Tu joues avec elle ?
Hans Non, elle est trop petite, trop petite ! Je m’ennuie avec elle, oh, comme je m’ennuie. Tu devrais demander à ta maman.
Joseph Quoi ?
Hans Dis-lui, maman, ma p’tite maman, allez, s’il te plaît !
Joseph Quoi ?
Hans Fais-moi un p’tit frère, fais-moi un p’tit frère ! Et bim, un p’tit frère ! Et bim, une p’tite sœur ! Mais qu’est-ce que ça te coûte, maman !...
Joseph Mais qu’est-ce que ça te coûte, maman ?
Hans (qui arrache son masque). Là, je n’peux pas, le mari n’est plus, ton papa.
Joseph Papa n’est plus…
Hans Papa, papa… (Il rit). Il était et il n’est plus. Et sans papa, difficile de faire quoi que ce soit. Mais je vais essayer, si tu veux. Tu veux, tu veux ?
Joseph Je n’sais pas. Je m’ennuie tout seul. Tout le monde a des frères, des sœurs, il n’y a que moi qui suis seul.
Hans Mais tu as beaucoup d’amis.
Joseph Les amis, c’est pas pareil, pas du tout pareil.
Hans Tu veux que je t’achète un chat ou un chien. C’est super chouette d’avoir un chien. Tu pourras jouer avec lui, courir, gambader…
Joseph Je veux un p’tit train.
Hans Non, c’est très cher et on n’a pas d’argent. Il faut que je gagne de l’argent et alors, peut-être que… Tu veux des p’tits soldats ?
Joseph Je veux bien.
Hans Tu veux ? Très bien. On en achètera demain.
Joseph (arrachant son masque). On en achètera ?
Hans « On en achètera » ! Ben tiens, bien sûr ! Elle achètera que couic ! Elle passait son temps à me promettre des choses et jamais, jamais, pas une fois de sa vie elle ne m’a acheté quelque chose, pas même un p’tit rien. Des p’tits soldats, des p’tits soldats ! Comme j’ai pu rêver de petits soldats ! Tu as eu des p’tits soldats ?
Joseph J’en ai eu.
Hans Ben pas moi ! J’avais rien ! Des boîtes de conserve vides, c’étaient mes seuls jouets ! Pas comme chez vous ...!
Joseph Bon, ça va, ça va, tout ne va pas si mal. Hein ? Si j’avais su, je t’aurais envoyé quelque chose. Je serais allé à la poste et je t’aurais envoyé des soldats de plomb. Ou un petit train. Mais j’ignorais ton existence, je ne me doutais pas.
Hans Mais, on s’en sort pas si mal, hein ? Vas-y, continue.
Joseph On en était resté où ?
Hans A ta mère.
Joseph A la tienne.
Hans Bim, et à la tienne ! A la tienne, à la tienne ! (Ils recouvrent leur visage de leur masque respectif).
Joseph Bien. Je n’avais aucun jouet.
Hans Aucun. Et moi, j’avais tout, des p’tits trains, des p’tits soldats, je me goinfrais de bonbons, je croquais de la glace à pleines dents ! Tout allait parfaitement bien pour moi, et je travaillais mieux que tout le monde à l’école, je ne rapportais que d’excellentes notes ! Pas vrai ? Maman était ravie, et papa m’achetait de nouveaux jouets, personne n’en avait des comme ça, personne ! Pas vrai, hein ?
Joseph Si.
Hans Et alors ? Il se passe quoi après ?
Joseph Après ? Après, c’est moi qui ai existé. Je trouvais la vie ennuyeuse et triste. Faut dire que toi, tu vivais en ville, à Francfort. Alors que moi, j’étais dans village microscopique près de Brunswick. Dans une maison minuscule dans laquelle papa, même s’il n’avait pas été mort, n’aurait de toute façon pas pu tenir. Non ?
Hans Si… J’étais riche, et toi, pauvre. Dis-le !
Joseph Evidemment. Tu vivais à Francfort et tes parents n’étaient pas à plaindre, tandis que moi, je vivais dans un trou et ma mère ne connaissait rien d’autre que les tracas.
Hans Oui-oui, exact. Comment tu t’appelais, Joseph ?
Joseph Hans, je m’appelais Hans.
Hans Et moi, Joseph, je m’appelais Joseph. C’est comme ça la vie, bim, un coup Joseph, et bim, un coup Hans. Et tu te souviens de ton père, Hans ? A quoi il ressemblait, ce qu’il disait, buvait, mangeait, quelles chansons il aimait ?
Joseph J’me souviens pas.
Hans (sans masque). C’est faux, faux ! Je me souviens de lui, très bien même ! Il m’aimait, il jouait avec moi, il m’emmenait au manège. Je n’te l’avais peut-être pas dit ?! J’adorais mon père ! Il était fort, beau, intelligent !... Et très joyeux, il me faisait toujours rire. On ne pouvait pas être triste avec lui, c’était tout bonnement impossible, on avait juste envie de sourire, de rire, de s’esclaffer !... Un gars simple de la campagne, voilà qui était mon père, t’as compris ? Tu comprends ?
Joseph Oui, j’comprends.