Traduit du russe par Irène Imart
(Monologue)
Un studio ordinaire, meublé de la façon la plus banale qui soit. On remarque un certain désordre. Une femme fait les cent pas.
– Salaud ! Fumier ! (Elle soulève le téléphone.) Tu vas voir ce que tu vas voir ! (Elle compose un numéro.) Prêt ?... Allez, lève ton cul ! Où t’es passé ? C’est pas le moment de dormir. Moi, je dors pas, alors toi non plus tu ne dormiras pas !.. Je t’avertis, si tu as débranché, je me déplace… mais je t’assure que tu ne dormiras pas ! (Elle se tait. À l’autre bout, visiblement, quelqu’un a décroché, elle écoute, singe en silence les « allô » de l’autre, et raccroche.) Assez resté debout ? Bouge maintenant ! Couche-toi, mon petit chéri, ferme les yeux, et dodo ! Tu vas voir comment tu vas dormir aujourd’hui. Un gros dodo et de beaux rêves ! Couché ? Pauv’ chéri, tu n’arrives pas à te calmer ! Allons, allons ! Te fais pas de souci, tout ira bien. Mais dors, à la fin, dors ! Assez gigoter. Voilà : comme ça. Un gros bisou et on s’endort.
Elle reprend le téléphone, compose un numéro, reste silencieuse, remue la tête de droite et de gauche, fait des mimiques, raccroche.
– Sale petit serpent ! Ronchonne, ronchonne, ça va t’aider. Maintenant, t’es pas près de te rendormir ! Tourne que te tourne, et grrrrrrr...
C’est pas une flèche, ta femme ! « C’était qui ? » « Personne, ma jolie ». Personne ! Moi ! Compris, idiote, moi ?! Personne, c’est toi ! Et ton mari ! De la merde au pieu ! Allez, debout ! Faut que tu te calmes maintenant, réfléchis ! Va fumer une clope à la cuisine et bois de l’eau. « Où tu vas, chéri ? » « Dors, ma jolie, je reviens. » Et smack ! Un gros smack sur la joue. Salaud ! Je les connais, tes manières. Une caresse sur la tête. Maintenant, une clope et demande-toi qui a appelé. Ou t’as déjà compris ? Ben oui, t’es pas bête. Raison de plus pour fumer ! Hé-hé, tu voudrais débrancher le téléphone ? Ben non, pas possible. Ce serait se couper du monde. Et si quelqu’un avait besoin de toi tout d’un coup ? Tu parles ! Un grand businessman ! Crétin ! À qui tu fais besoin, à part à ta pouliche ! Et encore, ce n’est pas sûr….Il lui faudrait plutôt… bref… pas toi. Enfin… passons à la cuisine.
Elle va à la cuisine.
– Viens, on s’assoit. Sors ta clope, prends le journal, et lis. Un cendrier ? Je t’en prie, on a tout ce qu’il faut : le grand confort. Ah, des allumettes ! J’avais oublié. Si Monsieur veut bien se donner la peine. Maintenant on peut réfléchir. Lumière !.. Le grand penseur entre en piste !
Elle se dirige vers le frigo et sort une bouteille de champagne.
– Et pour nous, champagne. Toi, tu lis, et nous, on boit. (Elle se verse une coupe.) Eh bien, cher Monsieur, à votre santé. Tous mes vœux de succès, et à ta virilité, si je puis dire. (Elle boit.) Tu veux que je te dise ? T’as les nerfs fragiles ! On fume la nuit, on dort mal… C’est pas bien, ça.
Hou-là-là, deux heures du mat ! Faut dormir. Laisse tomber ta clope et au pieu ! Ta petite femme t’attend !
Elle prend la bouteille et son verre, et retourne dans sa chambre.
– Allez, couche-toi, couche-toi. Hé-hé-hé, quel joli miaou, on a dérangé son petit chat. Un mimi, encore un, prends-là par le popotin et serre-toi bien fort. T’aimes ça, te coller au popotin ! Attention, t’excite pas, faut se lever demain, n’oublie pas. Plus que cinq heures de sommeil, alors pense plutôt à t’endormir. Serre-toi contre son popotin et dodo. Salaud ! Sale porc !.. Comment va ? Tu dors ?! Moi, je vais me… (Elle se verse du champagne.) Qu’est-ce que c’est bon ! Ça calme les nerfs. Je connais rien de mieux que le champagne. Je comprends pas pourquoi ils y mettent tant de gaz. Peu importe… c’est le meilleur truc que j’ai jamais bu.
Quand même deux heures du mat, et je ne dors pas. Et pourquoi ça ? Parce que demain, j’ai pas besoin de me lever et d’aller au boulot, de penser à ci, de faire ça. Rien de tout ça. La nuit donc, je peux ne pas dormir. Je suis une femme libre : je dors quand je veux. Tandis que toi, le matin, faut que tu bosses ! Et oui !
Elle soulève le combiné, compose le numéro. On devine à son comportement qu’Il a décroché. Conversation muette, mimiques. Même jeu que précédemment à ceci près qu’elle a un verre à la main et peut boire à sa santé. Elle grimace et repose le combiné.
Quel rustre tu fais ! Pignouf ! J’ai bien senti au premier coup d’œil que tu ne me plaisais pas. Dès que je t’ai vu, j’ai compris : il va me coller. C’est ma chance, je me suis dit : faut toujours que je tombe sur une ordure. Je ne croyais pas si bien deviner. Salaud ! C’est pas grave, pas grave.
La troisième fois, elle n’a pas dû y tenir. Elle s’est réveillée, pour sûr. Au second coup, elle a dû se douter de quelque chose… mais là, c’est sûr. On ne fait pas un faux numéro trois fois de suite, surtout pas à deux heures du matin. Ne te ronge pas les sangs, bêtasse ! Il n’y aura plus personne après pour te garder ton mari.
Il lui bourre le mou… Je me demande bien ce qu’il lui chante ? Andouille, elle s’en fiche de tes salades. Trop tard. Le doute est semé. Plus t’en rajoutes, plus tu t’enfonces. (Elle rigole.) Quel bazar, ma parole ! Bien joué ! Réfléchissez, les amis, réfléchissez ! Moi, j’ai une petite surprise pour vous. Vous ne savez pas quoi encore. Ce n’est pas bien compliqué à deviner…
Je me demande ce qu’il lui raconte. Des âneries, du style : « Quels mufles, t’imagines, ils appellent, et personne ne dit rien ? » Ou « J’appelle la police et le central téléphonique, qu’ils se renseignent d’où vient l’appel ! » Non… ce n’est pas son genre. Faut qu’il invente autre chose… Oui, c’est ça… ! Ça ne peut être que ça. L’air mauvais, il lui sort : « J’en ai marre de ce type ! » Et il lorgne sur sa belle, l’air de dire, « oui, le tien. » Elle, elle est scotchée, elle en perd la parole. Elle se demande qui ça peut être, qui a pu s’enticher d’elle à ce point ? » Je sais, je t’ai vue, c’est écrit sur ton front. T’as peur de me tromper, mais qu’est-ce que t’en as envie. T’en crèves d’envie ! Pas grave, tu ne tiendras pas longtemps. Encore un petit moment, et adieu, la fidélité. Ces choses-là, quand ça vous démange, ça ne vous quitte plus.